La Hongrie courtise toujours les étudiants étrangers

La Hongrie courtise toujours les étudiants étrangers

11 Octobre 2018 08:00

La Hongrie courtise toujours les étudiants étrangers

Malgré une politique antimigrants dure, Budapest a doublé le nombre de bourses pour les élèves asiatiques, sud-américains ou maghrébins.

LE MONDE 09.10.2018 à 06h30 Mis à jour le 09.10.2018 à 10h26 Par Blaise Gauquelin (Szeged (Hongrie), envoyé spécial)

La scène ne correspond en rien aux clichés habituels concernant ce pays d’Europe centrale ayant si mauvaise presse. En ce mardi 25 septembre, dans le beau bâtiment Belle Epoque de l’université de Szeged, au sud de la Hongrie, Patrick Mardellat, professeur d’économie à Sciences Po Lille, commence par faire lire à ses élèves l’entretien, paru quelques jours plus tôt dans Le Monde, d’un philosophe néerlandais qualifiant la Hongrie d’« autocratie électorale ».

L’enseignant français a face à lui un seul étudiant hongrois, ainsi que deux jeunes filles et trois garçons originaires de Turquie et du Maroc, heureux bénéficiaires d’une généreuse bourse émise par le gouvernement du souverainiste Viktor Orban – celui-là même qui se présente comme le défenseur de la chrétienté contre les migrations !

C’est un paradoxe : malgré ce discours hostile, Budapest prend en charge depuis 2013 les études d’étrangers sur son territoire et multiplie les échanges bilatéraux avec des Etats tiers. Cette année, le nombre des bourses accordées à des Asiatiques, à des Sud-Américains ou à des Maghrébins a doublé, passant de 2 500 à 5 000 bénéficiaires, dans le cadre d’une stratégie visant à remplir les amphis. En Hongrie, la démographie est moribonde, l’émigration des jeunes, massive.

Et alors que la France est aujourd’hui en perte d’attractivité – les Hongrois qui viennent étudier dans l’Hexagone sont en recul de 10 % depuis 2011 –, le nombre de nos compatriotes inscrits en Erasmus en Hongrie explose. Ils seront ainsi 750 à venir découvrir les agglomérations de Györ, Debrecen ou encore Pecs cette année, ce qui représente une hausse de 66 % par rapport à 2012. Développement des programmes en anglais, hausse de la qualité des enseignements, vie universitaire palpitante (et qui reste bon marché), sécurité… La destination voit sa cote grimper.

Szeged, ville francophile

A l’origine de cette réalité méconnue, on retrouve notamment le ministre de la justice, Laszlo Trocsanyi. Ancien ambassadeur à Paris et à Bruxelles, cet enseignant de formation se trouve être un militant de la francophonie.

Il s’est battu pour créer, dans la troisième ville hongroise (Szeged compte 170 000 habitants), le Centre universitaire francophone (CUF). Un campus entièrement destiné à des enseignements en français, ouvert au monde entier. Et qui s’inscrit dans une lignée prestigieuse : créée en 1872, l’université de Szeged, la SZTE, est l’héritière de l’université François-Joseph (1872-1940) et de l’Académie de Kolozsvar, fondée, elle, dès 1581 (et déplacée à Szeged en 1921).

Les atteintes aux libertés académiques sont pourtant l’une des mesures ayant conduit les eurodéputés à voter, le 12 septembre, à Strasbourg, pour le déclenchement de l’article 7 du traité sur l’Union européenne (UE) à l’encontre de la Hongrie. Patrick Mardellat, lui, souligne « la liberté totale de parole » dont il jouit. Le partenariat conclu entre Sciences Po Lille et la faculté de Szeged se porte à merveille, et les élèves sont nombreux à en profiter.

Un master en développement Europe-Afrique

Leurs motivations sont très diverses. Elodie Schutz, originaire d’Alençon et actuellement en bac + 5, trouvait « intéressant d’aller passer un semestre dans une contrée controversée, au moment d’une crise de l’UE », afin de compléter une précédente expérience plus classique d’Erasmus en Allemagne. « Je suis en spécialité études européennes, dit-elle. A Szeged, l’accent est mis sur la politique migratoire de l’UE, son action extérieure et sur les civilisations d’Europe centrale et orientale. Nous sommes tout près des frontières Schengen et cela nous permet d’envisager la construction européenne depuis les nations ayant rejoint l’UE à partir de 2004. »

C’est aussi la motivation de Yassine Alilou, 23 ans : « Je viens de Fès, au Maroc, et j’avais déjà passé une année de licence à Marseille. Comme je souhaite intégrer la diplomatie marocaine, j’espère qu’évoluer sur quatre semestres ici me permettra de me distinguer. »

Il y a cinq ans, la Hongrie a conclu un partenariat avec la faculté Senghor d’Alexandrie, en Egypte, un établissement pensé par l’ancien secrétaire général des Nations unies (ONU), Boutros Boutros-Ghali, pour former l’élite africaine de demain. « Le nombre de candidats double chaque année, parce que cet accord permet d’obtenir un double diplôme, l’un européen, l’autre africain », se réjouit Peter Kruzslicz, le directeur administratif du CUF.

« DÉSORMAIS, NOUS SOUHAITONS CONVAINCRE LES HONGROIS D’INTÉGRER LE PROGRAMME ET DE S’INTÉRESSER À L’AUTRE RIVE DE LA MÉDITERRANÉE »

Cette structure, mise en place en 2013, bénéficie d’une dotation de 135 000 euros par an, émise par le ministère hongrois de l’éducation, d’un poste de volontaire international, proposé par le Quai d’Orsay, et d’une juriste assistante, financée en partie par Wallonie-Bruxelles International, administration publique de la région wallonne, en Belgique.

« Nous proposons un master en développement Europe-Afrique, dans lequel nous expliquons notamment aux Africains les politiques européennes en rapport avec leur continent, détaille Peter Kruzslicz. Désormais, nous souhaitons convaincre les Hongrois d’intégrer le programme et de s’intéresser à l’autre rive de la Méditerranée. »

« Se confronter à l’altérité »

Prochainement, le garde des sceaux hongrois en personne, qui avait obtenu une bourse à la fin des années 1980 pour partir étudier à Louvain-la-Neuve, en Belgique, viendra donner un cours de droit à Nina Pooda, 29 ans, originaire du Burkina Faso, et à Moussa N’Diaye, un Guinéen du même âge. « Pour nous, il s’agit d’une opportunité afin de connaître l’UE de l’intérieur », estime ce dernier. « Lorsqu’on veut vouer sa carrière au développement, il est indispensable de se confronter à l’altérité, afin de pouvoir s’adapter à toutes les situations possibles », renchérit Nina Pooda.

« SZEGED EST HISTORIQUEMENT MULTICONFESSIONNELLE »

Les Africains ne s’en cachent pas : pour nombre d’entre eux, aller bûcher « chez M. Orban », un dirigeant portant un discours négatif sur la migration Sud-Nord, est un défi. Ils parlent d’une expérience enrichissante, leur permettant d’envisager par la suite l’écriture d’une thèse ailleurs au sein de l’UE.

Ils se disent agréablement surpris par la relative bienveillance de la population à leur égard. « Szeged est historiquement multiconfessionnelle, rappelle Peter Kruzslicz. Hongrois, roumain, allemand : il y a quatre générations, tous les habitants parlaient plusieurs langues. Avant l’adoption des lois dites de numerus clausus, à peu près la moitié des inscrits en droit étaient juifs dans toutes les promotions. »

L’ouverture internationale est également liée à l’histoire. « L’académie a été fondée en 1921, après la perte de la ville de Cluj, devenue roumaine à la suite du traité de Trianon, qui a amputé la Hongrie d’une partie de son territoire. Depuis, nous entretenons également des liens très forts avec la Roumanie », fait valoir M. Kruzslicz.

Sur les 25 000 étudiants résidant actuellement dans la ville, près de 1 300 nouveaux inscrits sont originaires de l’étranger. Parmi eux, des Allemands, des Iraniens ou encore des Chinois, particulièrement bien représentés. Tous étudient en anglais ou dans la langue de Goethe. Et c’est là sans doute la grosse ombre au tableau…

Peter Kruzslicz et Patrick Mardellat tentent donc d’attirer les voisins n’ayant pas encore rejoint l’UE et susceptibles de considérer « Szeged-la-francophile » comme une porte d’entrée plus accessible que Londres ou Paris. Macédoine, Moldavie, Géorgie : les impétrants venus de ces contrées font preuve d’une appétence prometteuse.

https://abonnes.lemonde.fr/campus/article/2018/10/09/la-hongrie-courtise-toujours-les-etudiants-etrangers_5366612_4401467.html

 

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